En 1970, les actualités de cinéma Fox Movietone m’avaient envoyé à La Clusaz pour faire un sujet sur les premiers scooters des neiges arrivés en France. Le temps était très beau, mais la neige absente au rendez-vous, nous fûmes obligés de trouver quelques sous-bois où elle était présente pour réaliser nos prises de vues.
Sujet terminé le dimanche en fin de journée, je reprenais la route vers Marseille. En arrivant à Romans, la neige commençait à tomber.
Habitué des Rallyes de Monte Carlo, j’avais dans ma voiture quatre pneus cloutés. Je me suis donc arrêté sur un terre-plein abrité pour changer mes quatre roues. Après quoi, la neige tombait de plus en plus drue.
Gourmand, je voulais ramener à la maison une des délicieuses et colossales pognes de la Maison Nivon…
Je m’arrêtais donc à Valence pour faire cette emplette et faire le plein de carburant en imaginant déjà que j’allais aborder une épreuve difficile pour revenir vers mon logis marseillais.
Essayant d’abord de prendre l’autoroute à Valence, je me retrouvais devant un accès fermé. Je remontais à Tain-l’Hermitage et accédais ainsi à l’autoroute. La hauteur de neige était déjà de 30 à 40 cm et elle ne cessait pas de tomber. Une Mercédès avait dérapé dans le bas côté, et avec mon câble je l’aidais à se remettre dans le droit chemin ! Toutes ces péripéties avaient pris pas mal de temps et je me retrouvais immobilisé au milieu des milliers de voitures de ceux qui rentraient de leur dimanche de promenade. Il était deux heures du matin, j’avais de quoi manger et me couvrir et je décidais de me reposer un peu. Vers cinq heures du matin, je cherchais une solution pour m’évader de ce guêpier. Comme la partie montante était dégagée, l’autoroute étant bloqué de Montélimar à Valence par des milliers de voitures, j’avisais un chauffeur routier et lui proposais avec ses outils de démonter un élément de barrière de sécurité (à l’époque, il y a presque 50 ans, le terre plein central était simplement équipé de ces dispositifs) pour pouvoir s’échapper.
Avec son aide, nous nous ouvrons une voie, en expliquant aux autres automobilistes que la route des Alpes était dégagée et qu’ils avaient intérêt à nous suivre et changer d’itinéraire, mais la plupart étaient mal équipés, et n’avaient pas prévus le carburant et les fonds nécessaires pour modifier leur trajet : ils sont restés trois jours bloqués dans la neige, se réfugiant comme ils l’ont pu chez l’habitant.
Images des routes bloquées par la neige autour de Montélimar (filmées le 4 janvier 1971)
Quant à moi – à l’époque, le portable n’existait pas encore ! – j’atteignais, en creusant ma route dans les 20 ou 30cm de neige qui était tombé depuis le passage des chasse-neiges du matin, une aire de repos pour téléphoner à la rédaction de la Fox Movietone et leur expliquer ce qui se passait (la radio commençait à diffuser la nouvelle) et leur proposer de faire un reportage. Evidemment, l’agrément fut immédiat et un autre opérateur se trouvant au sud de Montélimar, ils avaient en main une parfaite couverture des évènements.
Je remontais donc par la voie opposée vers Paris en filmant les centaines de voitures arrêtées en travelling, tenant le Caméflex 35mm en appui sur la porte conducteur d’une main, et conduisant de l’autre. Je doublais cela de plans généraux depuis les ponts surplombant l’artère, puis retournais parmi les automobilistes pour montrer comment chacun gérait cet arrêt forcé.
Le sujet tourné, je remontais vers l’aéroport de Lyon Bron pour expédier mes bobines.
Mais là pour rentrer sur Marseille, une nouvelle Odyssée s’annonçait.
Sachant où le blocage se trouvait, je sortais à Tain l’Hermitage pour emprunter la RN 86 qui longe l’autoroute à l’Ouest. Au début, pas de problèmes, si ce n’est la neige.
En arrivant en Ardèche un pont était à franchir, et une quarantaine de voitures attendait qu’un courageux se lance.
Je parlemente et leur explique qu’avec mon équipement, je peux leur tracer un passage.
Ce qui fut dit fut fait, et je n’ai finalement vu ensuite qu’une Ami 6 Citroën qui avait franchi le pont derrière moi.
Les heures de conduite sans sommeil s’accumulaient, puis sur le bord de la route, dans le fossé, une voiture.
Je m’arrête pour prêter secours et je découvre une femme prête à accoucher, je l’embarque avec son mari dans mon auto et les amène à la maternité de Pont-Saint-Esprit.
Une fois cette mission accomplie, je repars enfin vers Marseille. Sur la route, la couche de neige devient de plus en plus fine… Lorsque je suis finalement arrivé chez moi, cela faisait 26 heures que j’avais pris la route depuis La Clusaz !